Génération(s) Écolo(s) – Préparer l’avenir

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Disclaimer : je n’ai pas d’enfant. Je suis donc observatrice lointaine de cette génération suivante, même si j’en ai quelques exemples avec les ateliers que j’anime parfois en collège/lycée, et avec les enfants de mon propre entourage.

« Les enfants c’est l’avenir ». Cette phrase est très vraie, non pas sur un plan émotionnel ou « spirituel », genre envolée lyrique, mais sur un plan très factuel : quand une génération disparaît, c’est bien la suivante qui prend la relève et continue de peupler la planète. Ou de la dépeupler, en fonction de ses choix.

Voilà, maintenant que j’ai bien cassé l’ambiance « We are the world« , nous pouvons aborder la question de la génération Z et des générations suivantes.
Leur rapport à l’écologie et à l’environnement a été abordé dans les questionnaires que j’ai reçus. Les réponses sont très variables, d’une sensibilité accrue à une vision assez pessimiste des « jeunes » (mon dieu j’ai mille ans).

L’une des raisons pourrait tout simplement être la suite logique du constat que nous avons déjà fait au sujet de la génération Y : une génération certes informée, mais globalement assez peu proactive en terme de gestes écologiques. Pourquoi serait-ce différent avec la génération suivante ? Après tout, nous aussi avons accès l’information, nous aussi constatons les effets du dérèglement climatique (à l’heure où j’écris ces lignes, il fait 14 degrés à Paris en plein mois de février et tout le monde est content. Voilà voilà.). Et pourtant, nous aussi nous avons des degrés d’action qui vont du simple au double.

Après tout, les enfants d’aujourd’hui sont avant tout issus de l’éducation que leur donnent leurs parents. Si ces parents ne sont pas sensibles (j’insiste sur la différence avec le terme « sensibilisés ») aux enjeux environnementaux, la prise de conscience peut être plus compliquée pour les enfants, malgré l’accès à l’information externe.


A. Hyperconsommation et dissonance cognitive : une génération semblable à celle de leurs parents

Dans la continuité. Voilà le premier constat que j’ai pu dégager des retours de questionnaires que j’ai eus.
Plusieurs personnes considèrent en effet que les comportements de la génération suivante sont une extension de ceux de la génération Y.

« Je pense qu’ils seront comme nous, peut-être en pire en terme de dissonance cognitive : d’un côté très sensible à l’environnement, de l’autre vivant dans une société avec un mode de vie impossible à concilier avec le respect de ce dernier. » (Alice, 27 ans)

Effectivement, malgré un message environnemental de plus en plus présent, la consommation ne ralentit pas vraiment. Certes, le pouvoir d’achat (qui certes a baissé depuis les années 60, mais reste ces dernières années à un niveau à peu près équivalent selon les chiffres de l’Insee) se reporte sur des catégories différentes (moins d’alimentation et d’habillement, plus de communication et de santé, selon l’Ademe), mais la consommation reste, pour les enfants et jeunes d’aujourd’hui, un signe de reconnaissance sociale, d’appartenance, d’acceptation, de la même manière que pour leurs parents.
Les raisons peuvent en être multiples : le marketing est toujours très présent, il touche de la même manière les parents et les enfants ; les enfants sont officiellement devenus des prescripteurs en termes de marketing (cela signifie qu’ils sont devenus une cible pour faire acheter à leurs parents ; voir cet article sur le sujet, ancien mais toujours d’actualité).

La société numérique et le tout-internet jouent également un rôle important. Attention, je suis moi-même très « connectée » comme on dit de nos jours (ok boomer). Ce n’est pas forcément une mauvaise chose (tant que l’on prend garde à l’empreinte écologique de son comportement numérique, voir ici le guide de l’Ademe).

La consommation reste, pour les enfants et jeunes d’aujourd’hui, un signe de reconnaissance sociale, d’appartenance, d’acceptation.

Mais qui dit vie numérique dit publicité ciblée. Qui dit publicité ciblée dit tentation beaucoup plus grande d’acheter des choses, y compris des choses dont on n’a pas besoin.
La génération Z, qui grandit avec les médias sociaux, baigne dans cet environnement marketé permanent depuis sa naissance. Les enfants et ados ne sont plus vraiment des enfants et ados, mais des prescripteurs.
A côté de ça, l’information passe au second plan, diluée dans un grand bouillon peu digeste.

Delphine L explique aussi que la surdose d’information peut desservir le message écologique pour la jeune génération : « Le rapport au savoir n’est pas valorisé de la même manière. Abondance de contenus de divertissement (au sens premier : on détourne à son profit, ou on détourne des choses sérieuses), on valorise le fait de ne pas s’informer alors que paradoxalement l’information n’a jamais été aussi accessible… Comme on valorise la consommation d’objets « qui facilitent la vie », on valorise la consommation de contenus intellectuels qui ne fatiguent pas le cerveau. »

Cela peut-il changer avec l’âge ?
Pour Julie (25 ans) : « Je pense que fatalement, les enjeux écologiques seront encore plus importants pour eux, car ils vont devoir vivre plus longtemps que nous dans cet environnement que nous leur laissons en héritage, mais d’un autre côté, ils sont nés dans une société de consommation où tout est plus rapide et plus facile d’accès. A nous de les éduquer pour en faire des personnes plus intelligentes et raisonnées que leurs aînés. »


B. La génération qui subit

Comme le dit Julie, la génération Z et les suivantes devront gérer en direct les difficultés liées à l’environnement. Ils sont nés en plein dans la tempête (comme la génération Y), et devrons en sortir un jour, que ce soit eux ou leurs enfants.

Il est donc paradoxal de considérer que les jeunes d’aujourd’hui (cette partie me fait me sentir si vieille…) n’ont aucune considération pour l’environnement, quand ils sont exposés aussi directement aux conséquences de sa dégradation.

« Je pense qu’elle est mieux sensibilisée. D’abord, on a les données scientifiques et le recul qui vont bien, par rapport aux années 80. Et puis, passe-moi l’expression, mais la génération actuelle, elle est dans le caca jusqu’au cou. L’ours polaire qui disparaît, ce n’est plus une vue de l’esprit, c’est un fait. Tout comme le réchauffement climatique, la météo qui fout le camp, les catastrophes naturelles et tout. Des FAITS. Pas des prévisions plus ou moins alarmistes sur fond d’époque funky rose fluo. » ( Pompon, 36 ans).

Cette nouvelle génération peut donc être sensibilisée non pas par des grandes idéologies ou des intentions, mais par des alarmes factuelles, perceptibles immédiatement. C’est une génération qui constate et subit. Les migrations climatiques sont désormais une réalité ; le changement climatique nous impacte même ici, en France (inondations, températures sans aucun sens quelle que soit la saison…).

Lydia (37 ans) évoque une autre réaction possible des générations suivantes : « ​Comme ils héritent d’une planète en mauvais état, la tentation pourrait être de dire « nous ne pouvons plus rien faire » et de baisser les bras. »
En somme, la génération suivante risque de reproduire ce qui se passe déjà avec une partie de la population actuelle : le désemparement et le renoncement avant même d’avoir tenté quoi que ce soit, par découragement …
Une enquête de 2012, citée par Consoglobe, indique que seuls 17% des jeunes français auraient confiance en l’avenir de la planète. Un chiffre inquiétant.

A l’inverse, Emma (47 ans) souligne le danger du message anxiogène : « Nos enfants sont informés mais désinformés aussi. J’ai le sentiment que l’on crée certaines préoccupations pas nécessairement vitales mais anxiogènes. Et ça marche parce qu’on est bien nourri, qu’on ne manque de rien et qu’on vit en sécurité ».

Naître à une époque où le message environnemental est plus répandu, cela peut effectivement être anxiogène. Pourquoi suis-je né dans un monde qui fonce droit dans le mur ?
Mais en parallèle, c’est également naître dans un monde où les solutions existent et sont de plus en plus utilisées, revendiquées. C’est ce lien qui doit être fait, entre la « conscience innée » du problème, et la mise en place de solutions pratiques pour y remédier.

Au-delà de simplement subir sans rien faire, la nouvelle génération peut s’appuyer sur l’information qui est à sa disposition ; pas seulement celle qui fait l’inventaire des problèmes, mais aussi celle qui lui liste les solutions possibles.


C. Le contexte familial et l’accès à l’information

Dans une étude, l’Ademe a établi que « La notion de prévention fait de plus en plus sens auprès des jeunes de 6 à 14 ans qui connaissent plus et mieux les gestes associés à la réduction de la quantité de déchets, mais également en comprennent mieux les finalités. » (Ademe, La sensibilité des Français de moins de 15 ans et la prévention des déchets, 2016).
L’étude énonce par ailleurs que « L’école et la famille demeurent les premiers vecteurs de sensibilisation : 92% des jeunes sensibilisés à la réduction des déchets affirment l’avoir été dans leur établissement scolaire et 87% par leurs parents. Viennent ensuite, dans une mesure bien moindre, les médias qu’il s’agisse de la télévision dans une émission (58%), dans un livre ou un magazine (46%), à la télévision dans une publicité (44%). Comparativement, Internet est un relais moins puissant, notamment en ce qu’il suppose une recherche active de l’information (22%). »

Ces éléments se sont confirmés dans les témoignages que j’ai reçus.

Julie W, qui intervient régulièrement dans les écoles pour parler écologie et développement durable, estime que la génération qui suit est prête à recevoir le « message environnemental » : « Je suis souvent étonnée du niveau de discussions et des connaissances des élèves, ils ont des idées, des envies… Plus que moi à leur âge. »

« J’espère que chaque génération sera plus sensibilisée que la suivante et je pense qu’elles le sont parce qu’elles naissent dans un monde où cela est devenu l’affaire de tous et où certaines choses sont déjà en place comme le recyclage. J’ai dû apprendre ce que c’était, certains enfants trient mieux que les adultes. C’est un peu le digital native de la cause écologique. » (Amandine, 25 ans)

Beaucoup d’information, donc, via l’école notamment.
Aly, elle, est convaincue : « Je suis ravie de constater que la générations des enfants de 2000 réussit à prendre ses distances avec le système. Franchement, je n’y aurais pas cru si je ne rencontrais pas au quotidien des personnes adolescentes ou jeunes adultes si impliquées ! ».

Effectivement, l’étude de l’Ademe (citée plus haut) mentionne que les 6-14 ans sont moins sensibles à la consommation systématique de nouveaux produits de technologie, et seuls 21% refuseraient un cadeau d’occasion, par exemple.
Ces chiffres sont certes à prendre avec des pincettes (l’opinion changera peut-être en grandissant), mais il reste encourageant !

Bien évidemment, une grande partie de cette sensibilité dépend également du contexte social et/ou familial qui est, là encore, très important.
Compte tenu de notre degré d’information actuel, la génération suivante peut être soit très au fait des enjeux écologiques (information facilitée par le contexte familial), soit n’avoir -comme la génération à laquelle j’appartiens- qu’un niveau parcellaire et superficiel d’information, et surtout sans mise en pratique ensuite.

Virginie, 32 ans, émet de sérieux doutes sur la sensibilisation des enfants par leurs parents :  » Dans mon entourage les moins écolos sont ceux qui ont des enfants alors il faudra une sacré prise de conscience de ces enfants à l’âge adulte pour qu’ils ne reproduisent pas le comportement de leur parents. »

Camille (38 ans) évoque également cette question de la sensibilisation par les parents :  » Les enfants de mes amis sont sensibilisés aux enjeux écologiques parce que mes amis prennent du temps pour en parler avec eux, ont les moyens intellectuels et financiers pour accorder du temps à ça, mais je ne pense pas que ce soit le cas pour tous les enfants. Et nous ne parlons que de la France. Qu’en est-il des générations équivalentes dans les autres pays du monde ? Il y en a forcément qui sont sensibilisés aux enjeux écologiques parce qu’ils les subissent de plein fouet (bonjour le tiers-monde), d’autres qui n’en ont rien à foutre parce que leurs parents n’en ont rien à foutre parce qu’ils ont voté Trump, ce connard de climato-sceptique (je m’enflamme là, non ?) »

La forme de transmission du message est aussi soulevée par Aurore (31 ans), qui évoque l’éventuel problème d’un excès d’information sous forme « ludique » sur des enjeux aussi essentiels. C’est peut-être là une explication possible à la dichotomie information/action, qui semble affecter les plus jeunes autant que ma propre génération Y. Si le message est traité de manière distante, légère, pas vraiment à la hauteur de ses enjeux… pourquoi agirais-je ?

Mais l’étude de l’Ademe (La sensibilité des Français de moins de 15 ans et la prévention des déchets, 2016) a souligné la connaissance qu’ont les plus jeunes des gestes quotidiens qui aident à réduire l’impact sur l’environnement.
Évidemment, on ne peut pas demander à un enfant de 12 ans de savoir exactement ce qu’est l’économie circulaire, ou pourquoi le cycle d’hyperconsommation est néfaste pour l’environnement (au-delà des déchets). Cependant, la sensibilité qui se dégage, par les enseignements de l’école, de certaines familles, est déjà une bonne accroche pour laisser la place, plus tard, à un développement individuel de cette conscience environnementale.
Nous pouvons actuellement avoir l’impression que les plus jeunes ne se sentent pas concernés ; or, nous vivons dans une société où les plus jeunes ne sont pas encore des acteurs à part entière -ils le sont, mais sous le contrôle de leurs parents.
Qui sait, peut-être qu’une fois plus indépendants, cette génération prendra en main l’action environnementale et agira de manière différente, que l’individu ait été élevé dans une famille « écolo » ou non ?
De la même manière que beaucoup de trentenaires « écolos » aujourd’hui le sont malgré une éducation pas vraiment orientée en ce sens, les enfants d’aujourd’hui pourront faire de même, appuyés en plus par un message environnemental de plus en plus prégnant et entendu non seulement dans les médias, mais aussi dans les écoles.


Conclusion « Générations »

En regardant d’un peu plus près les comportements (réels et perçus) de plusieurs générations, on peut en tirer plusieurs conclusions.
Non, nos aînés n’étaient pas forcément plus écolos que nous.
Oui, la génération Y est informée, mais pas encore vraiment actrice.
Non, les « jeunes de nos jours » ne sont pas des petits égoïstes -laissons-leur aussi le temps de grandir.

Mais surtout… On peut aussi observer qu’au final, le découpage en générations n’est pas forcément le plus pertinent pour évaluer des comportements sociaux.

Je l’ai répété tout au long de cette partie sur les générations : le principal élément qui façonne un comportement environnemental ou non semble être le contexte socio-économique avant tout. Que ce soit la société d’avant-guerre, la guerre et ses manques, les Trente Glorieuses et ses excès, la crise des années 2008, la reconstruction compliquée d’aujourd’hui… Tout semble surtout tenir à des situation individuelles, dictées par des circonstances externes.

Le principal élément qui façonne un comportement environnemental ou non semble être le contexte socio-économique avant tout.

La lecture par la grille des générations n’est donc pas toujours pertinente. Être né dans la même période ne donne pas forcément des traits de caractère communs à tous, même si évidemment le contexte dans lequel nous grandissons en même temps peut influer sur les comportements.

En termes d’écologie, c’est donc l’information qui semble ressortir le plus comme critère de sensibilisation.
Mes grands-parents et mes parents n’avaient pas d’accès facile à l’information écologique ; ma génération, au contraire, dispose de ces éléments très facilement, de même que la génération suivante.

En tirer des conclusions serait difficile, et je ne m’y aventurerai pas ; mais j’espère que l’accessibilité de l’information joue un rôle important dans le mouvement actuel de déconsommation et de responsabilisation. Car cela signifierait que modifier ses comportements est à la portée de tout le monde, chacun à son échelle, chacun selon ses possibilités ; que chacun peut devenir acteur, en se basant sur l’information disponible.

Et se sentir acteur, que l’on soit vieux ou jeune, né avant la guerre ou après la création de Snapchat, c’est tout de même l’essentiel.

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