Faites ce que je dis, pas ce que je fais.
On connaît tous ce moment où, alors même qu’on a un avis sur quelque chose, on agit en contradiction avec cet avis.
Par exemple : je suis au régime, mais je mange quand même une triple raclette. Et dans ma tête, je me dis que j’ai le droit de m’autoriser un écart. Idem le jour suivant avec un paquet de chips. Et celui d’après avec un fondant au chocolat.
Et bien, ça porte un nom : la dissonance cognitive, théorisée par le psychosociologue Leon Festinger.
La dissonance cognitive est la « simultanéité de cognitions qui entraînent un inconfort mental en raison de leur caractère inconciliable, ou l’expérience d’une contradiction entre une cognition et une action ». (signé l’ami Wiki)
En somme, c’est quand on agit de façon contradictoire avec nos pensées, nos opinions, nos valeurs.
Toujours selon Wikipedia, il y a trois sortes de relations entre cognition et comportement :
- La relation consonante. Je suis au régime, et je mange des haricots verts vapeur (OK tout va bien).
- La relation non pertinente. Je suis au régime, et je balaie mon salon (rien à voir avec la choucroute).
- La relation dissonante. Je suis au régime, mais je mange treize beignets au Nutella (Houston on a un problème).
C’est cette dernière qui me pose problème, et qui est à l’origine de ma démarche.
Sur le plan de l’écologie, c’est assez simple à illustrer.
On a tous accès à un certain niveau d’information sur l’environnement, sur le fait qu’agir devient urgent, sur les gestes à adopter. Bien souvent, on les intègre, on se dit préoccupé par la question environnementale, on se sent concerné.
Et pourtant, au quotidien, on n’applique pas toujours les gestes ou les recommandations qui vont bien.
J’ai beau savoir que ce que je fais n’est pas idéal, est néfaste pour ma santé/mon porte-monnaie/ma planète, je le fais quand même, parce que.
Parce que quoi ?
Parce que mon cerveau est hyper doué pour séparer la cognition et l’action, et pour échafauder des justifications, excuses, circonstances atténuantes, etc … qui n’ont pas vraiment de fondement logique, juste pour réduire l’inconfort entre la cognition (« il faut protéger l’environnement ») et l’action (« je m’achète un sandwich triangle dans une barquette plastique »).
Dans le cas d’une dissonance cognitive, le cerveau essaie d’appliquer une stratégie pour réduire cet inconfort.
- Soit en changeant de comportement, pour accorder cognition et action.
- Soit en aménageant la relation conflictuelle, en mettant en place une justification.
- Soit en ajoutant d’autres cognitions.
Pour un exemple concret :
Je sais qu’on va manquer de ressources pétrolières sur la planète, que le plastique pollue à mort, ne se recycle qu’en partie (et bien souvent, qu’une seule fois) et forme un véritable continent sur l’océan.
Mais j’achète quand même ma salade composée dans sa barquette en plastique. Que je mange avec des couverts en plastique. Emballés dans du plastique. Avec une bouteille d’eau en plastique. Le tout servi dans un sac plastique.
Et je jette les emballages (plastiques) de mon pique-nique dans une poubelle garnie d’un sac poubelle (en plastique), tout en déplorant que d’autres gens jettent leurs emballages par terre.
Alors que j’ai beau jeter mon emballage à la poubelle, il va quand même finir quelque part. Il ne disparaît pas par magie, il ne part pas au paradis du plastique. Il a coûté des ressources à la fabrication, il va en coûter d’autres pour son traitement (recyclage ou non).
Et bien chez moi, au bout d’un moment, ce décalage est devenu inconfortable. Un peu comme quand tu veux chiller en pantoufle, mais qu’il y a un gravillon dedans. Ça picote, mais tu t’en accommodes. Si tu bouges pas trop, tu le sens pas.
Mais le gravillon grandit. Lui aussi il mange de la soupe et des Croustibat. Il devient gravier. Puis caillou.
Et toi, tu essaies tant bien que mal de te détendre dans ton canap’, mais il y a un rocher dans tes charentaises. Niveau confort on repassera.
« Plus ces cognitions seront liées aux valeurs essentielles du sujet, plus la dissonance sera ample »
C’est comme ça que j’ai vécu « ma » dissonance cognitive sur les sujets environnementaux, et que je continue à la vivre. Les petits gravillons pas gênants du début (« Les porcs, ils jettent leur plastique sur l’aire d’autoroute », dit-elle en dégustant son sandouiche Sodemoche dans du plastique), me sont devenus ingérables au quotidien. Le confort qu’était censé m’apporter la résolution de la dissonance par ma petite cervelle, est devenu un gros inconfort.
Si l’on suit les trois solutions proposées par Festinger :
- Soit j’ajoute des cognitions. J’ai jeté plein de plastique inutilement, pour compenser j’achèterai bio (compensation).
- Soit j’aménage ma conviction. J’ai jeté plein de plastique, mais au moins je ne l’ai pas jeté dans la nature, et de toutes façons ce ne sont pas mes petites actions à moi qui vont changer grand chose (justification).
- Soit je change de comportement. Désormais, je ferai attention à ma consommation en évitant les emballages au maximum (action).
Comme j’aime être cosy dans ma tête, je me suis dit que je devais changer des choses.
Alors posons tout de suite les choses bien à plat : la perfection, ça n’existe pas. Le zéro déchet absolu non plus, rapport que nous sommes humains.
Je sais aussi que c’est une question de priorités individuelles : ce qui me préoccupe au quotidien n’est pas forcément universel, et mes turpitudes environnementales ne sont pas partagées de tous. Et ça ne me pose pas de problème : chacun sa route, chacun son chemin, passe le message à son voisin, toussa.
J’aurai toujours des moments où je me dirai que de toutes façons, tout ça ne sert à rien, tant que la masse ne s’y met pas, tant que les industriels n’y mettront pas du leur, et que du coup ce n’est pas grave si je me trompe de bac pour le recyclage ou si je prends un énième sac plastique dans un magasin.
J’aurai toujours des moments où j’aurai la flemme d’essayer de fonctionner autrement, et où je choisirai une solution non durable pour ne pas me prendre la tête, ou pour ne pas risquer de remarques d’autrui.
Et je ne manquerai pas de vous le dire !
Mais l’important, c’est d’essayer. De faire ce que je peux, quand je peux.
Rome ne s’est pas faite en un jour. J’ai trente ans d’habitudes à modifier, ça sera difficile, pas toujours funky je suppose … Mais à ce qu’il paraît, c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
(C’est sur cette expression de 1653 que se termine cet article, visiblement sponsorisé par l’association des dictons de France).
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